Revue L’Affiche Culturelle de Haute-Normandie

Numéro 132 – 15 janvier/15 mars 1990 – Rubrique Expositions – Pages 14-15

Jean-Paul FACCON – Tout un monde lointain…

Pour la galerie La Forestière du château de Vascœuil, l’entrée dans les années quatre-vingt-dix sera marquée par la découverte d’un peintre peu connu de notre région bien qu’il y vive et y travaille depuis une quinzaine d’années. Réservé par nature, cet artiste a préféré œuvrer dans le silence,
plutôt que d’attirer trop tôt sur lui les falots de l’actualité. Si quelques-uns l’ont remarqué, au hasard d’une démarche de groupe, nul n’a vraiment cerné l’ampleur du travail qu’il avait accompli.

L’initiative de Maître Papillard remédie donc à une situation relativement injuste mais qui ne fait que confirmer un phénomène dont nous sommes aujourd’hui coutumiers : tout créateur qui ne s’agite pas derrière son œuvre est souvent déconsidéré. L’opinion courante lui préfère le talent des
illusionnistes qui n’ont parfois rien à montrer en dehors de leur arrogance. Pour Jean-Paul Faccon, qui a toujours pratiqué l’art comme une ascèse, l’exposition d’hiver du château de Vascœuil est l’occasion rêvée de nous montrer l’originalité de sa démarche et de la réflexion qui l’accompagne.

Tout un monde lointain vient à notre rencontre dans les tableaux magiques et raffinés que nous propose Jean-Paul Faccon. Comment ne pas s’émerveiller devant ces étranges cités surgies des profondeurs du temps ! Désertées par l’homme, abandonnées à leur silence pour une cause
inexpliquée, elles emblent renfermer un secret redoutable, un secret qui nous relierait aux antiques civilisations. Réalité cachée ou rêve inachevé d’un architecte visionnaire, ces villes inimaginables sont fréquemment bâties dans des sites inaccessibles – éperons rocheux, langues de terre battues par le vent, îlots perdus au sein des brumes. Austères et imposants, ces joyaux de complexité font quelquefois penser aux altières ziggourats que le génie babylonien éleva vers le ciel. À la fois temples et forteresses, reliées au monde par des passerelles, des escaliers abrupts ou des ponts impensables, ces demeures passées ou futures dominent de leur vertige un paysage vidé de toute présence humaine.

Que sont, au juste, ces cités ? Vestiges ou constructions mentales ? Elles participent un peu des deux, mais nous y verrions davantage la concrétion d’un état d’âme. Il n’y a pas de désespoir dans cette vision plongeante d’un univers que l’homme a fui. Forme pensée, ce monde est là, solide, attendant
le retour de ses hôtes, près à redonner vie à ce qui fut jadis et avant toute chose une certaine manière d’être. « Aux confins des terres arides », « citadelles assiégées par les brumes du soir », « Langue de terre », titres chargés d’images, attestent un regard de poète. Mais laissons leur auteur
commenter son voyage… « À un certain moment, je me trouvais à cheval entre abstrait et figuratif.

J’ai alors redouté l’hermétisme de l’abstraction. Contraint de me remettre en cause, j’ai dû retravailler la perspective et cela m’a permis de fortifier l’imaginaire, de renforcer en moi la présence
du rêve. Cela dit, j’éprouve une quasi-répulsion pour le côté gratuit du fantastique. La richesse foisonnante des formes naturelles me semble insurpassable. C’est la lumière que crée, à partir de ces formes, l’effet de merveilleux. Je cherche dans ce que je peins l’accès vers une source cachée, vers un paysage intérieur, un peu comme Bruegel ou Michaux ».
Pour Faccon, la peinture engage tout entier le cœur et l’esprit de l’homme. Il ne saurait en être autrement pour tout artiste véritable. s’il n’a, en tant que peintre, aucune certitude à donner, il sait que l’ascèse qu’il s’impose est une quête incontournable. Le surprenant aboutissement et la maturité
de sontravail défient notre « modernité » tout autant que nos vaines gloires. Mais écoutons encore une fois le peintre : « La peinture, dit faccon, n’est pas faite pour que l’artiste s’y englue. On peut s’appauvrir en produisant. Une œuvre d’art digne de ce nom n’alourdit pas la pesanteur, la
matérialité du monde. Elle en allège la nature. La peinture est une ouverture, pas un repli sur soi ».

Pour son exposition à la galerie La Forestière, Jean-Paul Faccon a réuni une quarantaine d’œuvres demeurées pratiquement inédites (huiles, aquarelles, pastels, dessins à la mine de plomb). Ces œuvres que nous vous engageons à découvrir, seront visibles du 11 février au 18 mars prochains.

Luis Porquet